L'unité dans la communion :
... la réponse des familles interconfessionnelles
Craig et Michèle Buchanan
Nous sommes appelés à l’unité, en tant que couples, avec nos Églises, et nos Églises les unes avec les autres.
Nous sommes aussi appelés à la communion, ce qui comprend, mais ne se limite pas à l’Eucharistie. Comment, en tant que couples, vivons-nous cette réalité de la communion ? Notre expérience d’unité et de communion a-t-elle quelque chose à offrir à nos Églises ?
Lorsque nous nous préparions au mariage, Michèle et moi, Michèle, qui est catholique, a dû promettre, devant le prêtre et moi, qu’elle ferait de son mieux pour élever les enfants issus de notre mariage dans la foi catholique.
Plusieurs semaines avant notre mariage, elle a fait cette promesse officiellement et moi, en réponse, j’ai promis de faire de mon mieux pour élever nos enfants dans ma foi. Heureusement pour nous, le prêtre était très compréhensif, car je serais très étonné si la plupart des prêtres acceptaient sans broncher une situation en apparence aussi incompatible. C’était le divorce à l’apparition du premier-né !
Eh bien, après 19 ans nous n’avons pas divorcé et nous avons tous deux tenu promesse. Nous fréquentons régulièrement les services religieux de nos deux églises et nos enfants sont actifs dans les deux communautés. Nous pouvons dire tous les deux que nous avons tenu les promesses que nous avons faites avant de nous épouser. La situation actuelle de nos églises facilite un peu les choses. L’immeuble que nous appelons St John’s United Church, à Pointe-Claire, Québec, accueille aussi la mission catholique Saint-Édouard-le-Confesseur. Les deux églises partagent le même lieu de culte, les mêmes fonts baptismaux et le même autel. En fait, la relation qui s’est développée entre les deux églises est telle que l’enseigne, à la porte de l’église, se lit maintenant : « The Christian Community of St John’s United and St Edward the Confessor ». Il est à noter que « communauté » est au singulier. L’enseigne ne prétend pas être une déclaration théologique sur la convergence des Églises, mais reflète les sentiments des gens qui habitent l’immeuble le dimanche matin.
Nous sommes appelés à l’unité en tant que couple marié et nous sommes appelés à l’unité en tant qu’Églises. En tant que couple, nous nous sommes unis de notre propre volonté en nous engageant à nous aimer et à vivre en communion l’un avec l’autre. En tant que mari et femme, juste deux personnes, il nous est plus facile de faire des compromis ou des arrangements particuliers que nos Églises ne peuvent tout simplement pas faire. En tant que couple, nous débutons avec un « casier vierge », sans scandales ni divisions du passé pour bloquer notre communion présente. Nous vivons cette communion personnelle à l’intérieur de la situation plus large d’une Église divisée.
Pour nos Églises, cela n’est pas aussi simple. Elles traînent des siècles de divisions et même de violences telles que la réconciliation semble impossible. L’unité semble vraiment bien lointaine quand on regarde les divisions historiques et doctrinales. Les Églises institutionalisées ont encore beaucoup de chemin à faire, beaucoup de blessures à panser et beaucoup de différends à résoudre. Mais au niveau local et des microcommunautés, les Églises se rapprochent. Notre Église domestique, l’Église à l’intérieur de notre foyer, vit chaque jour dans l’unité du Christ, catholiques et protestants sous le même toit. Ce n’est pas une unité parfaite, mais c’est une unité visible. L’unité chrétienne, à l’intérieur de notre famille, a amené notre fille aînée à ne pas se voir comme catholique ou protestante, mais comme chrétienne.
Et au niveau local, nous vivons, en autant que nous le pouvons, le chemin vers l’unité chrétienne. Les communautés de St John et de St Edward se réunissent pour des services religieux spéciaux durant l’Avent et la Semaine sainte. Nous organisons des études bibliques conjointes et nous prions régulièrement les uns pour les autres. Il n’y a pas de rencontre communautaire dans une église où l’autre ne soit pas invitée. La peine ressentie dans une église, comme la mort ou une maladie grave, est souvent partagée avec l’autre église. Tout cela est pour moi le signe que nous agissons plus comme une famille que comme des institutions séparées.
Lors de notre dernière rencontre à Genève en 1998, le pasteur Konrad Raiser disait : «Peut-être avons-nous besoin de cette expérience d’Églises de maison pour nous inspirer et nous faire découvrir de nouvelles façons d’être Église, pour construire notre communion d’en-bas, plutôt que d’attendre les accords doctrinaux et canoniques formels venus d’en-haut. La conviction s’amplifie que le mouvement œcuménique organisé, celui des relations interconfessionnelles institutionnelles, a atteint les limites de ce que les approches et les méthodes employées jusqu’ici peuvent produire. Nous avons à être libérés de la captivité institutionnelle de notre Église et de notre situation œcuménique. Les Églises historiques sont devenues trop lourdes, elles sont trop liées par leurs identités passées. L’appel pour une ‘conversion des Églises’ est plus approprié et actuel que jamais1.»
Les foyers interconfessionnels, dans leurs Églises domestiques, ouvrent de nouveaux espaces œcuméniques, tout comme les églises locales. Il y a, du moins dans mes églises locales, une compréhension croissante les uns des autres. Le service commun du Vendredi Saint dans nos églises locales est un exemple de ce nouvel espace œcuménique. Depuis les six dernières années, les jeunes de St John et de St Edward présentent une dramatisation de la Passion du Christ. Au début, elle ressemblait beaucoup aux stations traditionnelles du chemin de la Croix catholique, mais, au cours des années, elle a évolué en quelque chose de différent, qui décrit toujours la Passion du Christ, mais d’une manière nouvelle et dynamique. Notre service du Vendredi Saint s’est aussi transformé en même temps. Il a grandi. Aujourd’hui, des fidèles de l’église anglicane locale participent à notre service œcuménique.
Frère Gilles a choisi pour titre de cette présentation l’extrait de Jean 17, 21 qui se lit: «que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé.» C’est un passage préféré d’un ami proche qui fait aussi partie d’un couple interconfessionnel et qui souhaitait ardemment être des nôtres à la présente conférence. Il apparaît aussi sur le blason de l’Église unie du Canada : Ut omnes unum sint, « que tous soient un ». Ce devrait être le cri de guerre de l’Église, le moteur de l’œcuménisme : « que nous soyons un afin que le monde croie ». En tant que mari et femme nous sommes un dans notre mariage et nous amenons nos Églises, parfois à leur corps défendant, dans cette unicité. En tant que foyers interconfessionnels, nous devons continuer, il nous faut continuer à montrer aux Églises des chemins vers l’unité chrétienne. Mais, en tant que la moitié protestante de cette ‘unicité’, et en dépit du fait que je vais à la messe presqu’aussi souvent que ma femme, et certainement plus souvent que plusieurs catholiques de ma connaissance, je me sens toujours comme un étranger dans l’Église catholique. Et ma femme ne se sentira jamais complètement comme faisant partie de l’Église unie. Nous avons l’un et l’autre nos propres racines dans nos Églises respectives et on ne peut changer ses racines. Mais nos enfants ont été élevés dans nos deux Églises et, pour eux, les deux Églises leur appartiennent. Leurs racines croissent à partir de nos deux dénominations. L’est et l’ouest se rencontrent, catholique et protestant se rencontrent dans un même corps, littéralement. Ce n’est plus l’image symbolique de deux qui deviennent un, le mari et la femme unis dans le mariage, chacun avec sa religion. Nos enfants ont les deux Églises en eux et, s’ils persévèrent, ils interpelleront les Églises encore plus que nous ne l’avons fait.
« GRÂCE À LEUR PAROLE ». La foi en Jésus
Jésus a dit : « Je prie pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi » (Jean 17,20). Jésus a prié pour nous, puisque nous avons cru grâce au témoignage d’autres personnes. Mais des siècles de division ont brisé ce témoignage en plusieurs courants différents. Un très bon ami à moi, membre d’un couple interconfessionnel, a amené un jour sa petite-nièce à la messe avec son épouse catholique. Après la messe, la petite fille a demandé pourquoi il n’était pas allé à l’avant de l’église avec sa femme. Il s’est alors lancé dans une version simplifiée des divisions entre les Églises qui ont conduit à la division actuelle à propos de l’Eucharistie. Après qu’il eut fini, la petite fille, qui l’avait écouté attentivement, lui dit : « c’est stupide ! » Nous courons le risque de perdre notre crédibilité avec nos divisions. En réalité, nous avons déjà perdu notre crédibilité devant le monde, mais ce serait bien pire si nous la perdions dans nos familles. Il nous faut faire bien attention lorsque nous transmettons la foi à nos enfants. Combien de fois n’avons-nous pas vu une dénomination dire du mal des croyances ou des pratiques d’une autre ? L’Église se fait du mal à elle-même. Combien plus grave ce serait si cela se passait dans une même famille ?
«COMME NOUS SOMMES UN»
En Jean 17, 22 Jésus prie «qu’ils soient un comme nous sommes un.» Je trouve très réconfortant ce que Gilles a dit à ce sujet. Jésus prie pour une unité qui va au-delà des accords et de la tolérance et même au-delà de l’unité dans la foi. Jésus a prié pour une unité et une communion de notre être même à l’image de la communion du Père, du Fils et du Saint Esprit. C’est ce degré de communion que nous recherchons dans notre mariage, même si les pressions de la vie quotidienne et les conflits dont elles sont la cause en font un but difficile. Savoir que c’est ce que le Christ désire pour nos vies me donne du courage. Si cette unité est difficile à l’intérieur d’une famille, elle est encore plus difficile à l’intérieur de l’Église. Dans la plupart des cas, les Églises ont à peine dépassé le stade de la tolérance et se débattent avec l’union dans la foi. Mais nous parlons ici d’une communion personnelle, la communion de Jésus avec le Père, la communion entre moi et mon frère ou ma sœur dans le Christ, la communion entre ma femme et moi. Ce n’est pas la communion institutionnelle. Ce degré personnel de communion est renforcé par les paroles de Jésus : « lorsque deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. » Cette prière et cette bénédiction sont offertes à chaque couple qui vit sa vie conjugale comme une vie de foi en communion l’un avec l’autre et notre Seigneur Jésus Christ. Cela est encore plus vrai dans un mariage interconfessionnel, qui lie l’une à l’autre deux traditions ecclésiales distinctes. Plutôt que de nous plaindre des contraintes institutionnelles imposées par des loyautés contraires, nous devrions commencer par nous centrer sur la promesse qui repose dans chacune de nos églises domestiques et croire qu’elles deviennent des espaces œcuméniques qui manifestent de nouvelles qualités communautaires.
Thomas Ryan, ancien directeur du Centre canadien d’œcuménisme et auteur de plusieurs livres sur l’œcuménisme, a dit que les foyers interconfessionnels étaient comme le point où la roue de l’œcuménisme rejoint la route, où l’œcuménisme doit être mis en pratique. J’aimerais donc conclure par quelques réflexions sur la manière dont l’unité chrétienne, à l’intérieur des contraintes de nos deux Églises, est vécue dans notre foyer. Notre relation interconfessionnelle implique l’Église catholique et l’Église unie du Canada, laquelle est l’union d’Églises presbytérienne, méthodiste et congrégationaliste. Dans ses directives pour le partage eucharistique, l’Église catholique, au Canada, autorise la partie anglicane ou protestante d’un foyer mixte à recevoir la communion « dans certaines occasions qui ont une signification ecclésiale ou familiale ». Mon attitude personnelle est de limiter ma propre participation au partage eucharistique dans l’Église catholique à des moments signifiants dans mon cheminement de foi ou pour les membres de ma famille. La dernière fois où j’ai communié dans l’Église catholique, c’est à la confirmation de Sandra, ma troisième fille, le printemps dernier. Mon sentiment personnel est que, si je n’ai pas l’habitude de recevoir la communion, ces moments particuliers prennent encore plus d’importance pour moi. Cela peut être dû en partie à la coutume de l’Église unie de n’avoir la communion que quatre ou cinq fois par année. Cela ne veut pas dire que je ne ressens pas la douleur de notre manque d’unité, chaque fois que le reste de ma famille va recevoir la communion. Cela me fait mal chaque semaine. Ma femme a choisi de ne pas communier à l’Église unie.
Nos enfants ont été exposés dès leur naissance aux deux traditions chrétiennes et se sentent, en fait, comme étant réellement membres des deux Églises. Notre plus jeune a été baptisé par un prêtre et un pasteur lors d’une cérémonie œcuménique et son baptême inscrit aux registres des deux églises. C’est ce qu’on appelle une double inscription du baptême. Après avoir reçu la formation qui précède la première communion dans l’Église catholique, ils ont tous commencé à communier dans les deux églises. Dans nos diocèses, la première communion est célébrée vers l’âge de huit ans, et je ne crois pas qu’il soit nécessaire, à cet âge, de les charger des différences doctrinales qui nous séparent à la table du Seigneur. En vieillissant, ils ont trouvé normal de continuer à participer aux deux communions. Ce sont vraiment eux qui peuvent se réclamer d’une double appartenance, et je crois, qu’en fin de compte, ils sont mieux placés pour interpeller les Églises sur la question du partage eucharistique.
Ce n’est pas la règle pour tous les couples interconfessionnels au Canada. J’en connais qui partagent régulièrement l’Eucharistie et je remercie Dieu s’ils se sentent appelés à le faire. J’envie parfois leurs décisions de croyants, mais je ne me sens pas encore arrivé à ce point. À mesure que les années passent, je ne suis pas plus près de m’autoriser à participer régulièrement à l’Eucharistie catholique. Je partage la vision de Konrad Raiser à propos du partage eucharistique : « Les contradictions de la situation œcuménique actuelle seraient partiellement levées si nous pouvions développer une nouvelle pratique du partage d’un simple repas pris en commun pour affirmer notre communion œcuménique, pour invoquer la bénédiction de Dieu sur les aliments et nous réjouir ensemble ».
1. « Ouvrir l’espace œcuménique », discours du pasteur Konrad Raiser lors de la rencontre internationale des foyers mixtes au siège du Conseil œcuménique des Églises, Genève, 25 juillet 1998.
2. Ibid.
Craig et Michele Buchanan
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