Samedi 11 juillet : Désormais vous êtes unis
Il fait un soleil éclatant lorsqu'à 17 h 15 Roméo et Juliette sortent de l'église sous une pluie de riz et, après avoir serré tant de mains et embrassé tant d'amis, se dirigent vers la terrasse ombragée où déjà une partie des amis font honneur au buffet. Le cousin Pierre, chargé de filmer se faufile à travers les groupes et, comme il a l'oreille fine, il recueille sur le vif des appréciations spontanées.
- Eh bien ! dit une dame à grand chapeau fleuri, c'était un mariage original. Un pasteur qui prêche dans une église ! Tu as déjà vu ça, chérie ?
- Non ! Mais c'était bien ce qu'il a dit sur l'amour qui supporte tout, qui endure tout...
- Tu ne le crois pas un peu idéaliste ? D'abord où a-t-il pris ça ? Moi je crois qu'au mariage il faut dire - surtout aux jeunes d'aujourd'hui - le mariage c'est deux en un et c'est pour la vie. Avant, les curés disaient que c'est indissoluble :
aujourd'hui, ils n'osent plus le dire mais ça reste vrai...
- Moi, j'ai entendu le pasteur dire que la fidélité est un appel, une vocation mais que ce n'est pas réglé à l'avance comme du papier à musique...
Le porteur de caméra se trouve soudain au milieu d'un conglomérat de jeunes.
- Moi, j'ai aimé les chants. Il y en a trois que je ne connaissais pas mais avec les feuillets sur les bancs on pouvait se lancer. Et puis j'aime mieux chanter, même des cantiques inconnus, que d'écouter passivement l'Ave Maria de Schubert ou de Gounod.
- C'était une bonne idée d'avoir mis sur pied une petite schola et Andrée l'a très bien menée. Même dans le milieu de la nef ça chantait !
- Moi je trouve qu'ils ont pas été honnêtes. Il faut du fifty-fifty. Le pasteur a fait le sermon. Et le curé là-dedans ?
- Tu n'as pas vu : le curé a donné la Bible. Et même ce qu'il a dit à ce moment -je ne m'en souviens pas exactement - était pas mal du tout !
- Oui, mais il a parlé deux minutes et le pasteur, lui, au moins vingt.
- Tu aurais voulu deux sermons, un du pasteur et un du curé ?
Ah ! non.
Eh bien moi, intervient un troisième, j'ai récemment assisté à un mariage où le prêtre au temple a parlé après l'épître et le pasteur après l'évangile. J'avais trouvé pas mal. Mais finalement j'aime mieux ce qui vient de se passer ici. Ça fait moins
doublet. On a plus l'impression que les rôles du prêtre et du pasteur sont complémentaires et pas parallèles.
- Oui, c'était chouette, pas comme le mariage de mes cousins Schlumberger il y a trois mois. C'était à l'église. Tout était
très catholique. Le curé a tout fait ou presque. Le pasteur - beaucoup ne l'ont même pas repéré : il était en veston - est
resté dans son coin tout le temps sauf pour dire une prière à un moment. Ça, ce n'est pas de 1'œcuménisme !
- Tu aimes les robes pastorales noires ?
- Non, c'est lugubre, surtout à côté des aubes blanches catholiques. Mais il me semble important que même les gens qui
sont le moins dans le coup repèrent facilement qu'il y a un prêtre et aussi un pasteur
- Comment ? si tu ne veux pas la robe noire.
- Je ne sais pas ! Le curé aurait pu au moins au début l'accueillir dans son église, le présenter, le remercier d'être là...
La caméra tourne à nouveau : sur un banc, des " anciens " assis devisent avec vivacité. L'un d'eux brandit le livret de
célébration.
- Vous avez vu : il y a eu, c'est écrit, une " bénédiction " des alliances. C'est anti-protestant. Chez nous, on n'est pas des
magiciens, on ne bénit pas les choses, seulement des personnes.
Vous croyez ?
J'en suis sûr. Tiens ! Demandez au pasteur
M. Laccueil arrive en effet, en conversation avec le père Ouvert. Ils s'arrêtent pour saluer la génération plus ancienne.
- M. Laccueil, qu'est-ce que vous pensez de la bénédiction des alliances et j'insiste sur "bénédiction" ?
C'est le prêtre qui prend la parole.
- M. Laccueil et moi-même regrettons cette petite faute sur le livret que les fiancés ont eu le tort de ne pas nous montrer
avant l'impression. Il n'aurait pas fallu écrire " bénédiction " mais " échange " des alliances. Et pour vous rassurer,
Messieurs, sachez que, dans la prière que j'ai prononcée, j'ai béni Roméo et Juliette, et non pas leurs alliances.
- Alors ! Vous pouvez, comme cela, tripatouiller la liturgie catholique pour la mettre au goût des protestants ?
- Non, Messieurs, je n'ai rien tripatouillé comme vous dites. Avec l'accord de Roméo et de Juliette, j'ai choisi l'une des
trois fortnules de notre rituel officiel catholique, que voici d'ailleurs. Comme vous le constatez, les deux premières
formules prévoient que le célébrant bénit les alliances, des objets. La troisième l'invite à bénir les époux. C'est toujours
cette formule que je propose aux fiancés en cas de mariage mixte par respect pour la sensibilité protestante Document des Eglises 22.
A ce moment le groupe est rejoint par l'oncle Régis qui, voyant les deux ministres, s'avance vers eux.
- Messieurs, eh bien bravo ! C'est la première fois que je ne m'ennuie pas lors d'un mariage et que je ne suis pas tenté
de bavarder avec mon voisin. Au lieu du ron-ron habituel, c'était toujours nouveau et mon attention est restée tendue.
Oh, bien sûr je n'ai pas tout apprécié également, je me serais bien passé de certains chants un peu trop modernes et
même de la quête supplémentaire (vous dites collecte, M. le Pasteur, je crois) pour aider le Rassemblement des foyers
mixtes à Genève à la fin du mois. Mais enfin rien n'est parfait ici-bas. Et aujourd'hui, ce n'était vraiment pas mal. On
voyait que tous les deux vous êtes habitués à travailler ensemble. C'était bien huilé! Merci, Messieurs!
Les deux ministres s'éloignent et retournent à la sacristie. Le père Ouvert a oublié, en effet, de remettre à M. Laccueil
copie de l'acte de mariage qui, figurant sur le registre catholique, pourra aussi être consigné dans le registre du temple
de Privas.
Document des Eglises 23.
Trois nouveaux convives s'installent sur les bancs, continuant une conversation animée.
- Heureusement que Roméo s'est marié à l'église !
- Pourquoi, c'est pareil au temple !
- Pas du tout, chez les protestants le mariage n'est pas un sacrement, il n'est pas indissoluble. On peut chez eux divorcer
et se remarier au temple sans problème.
M. Westphal intervient.
- Qu'est-ce que vous chantez là ? Chez nous, le mariage est pour la vie. Dans l'ancienne liturgie de l'Eglise Réformée de
France (la liturgie dite " verte " de 1963), le pasteur parlait deux fois aux époux de " liens indissolubles " alors que,
sauf erreur de ma part, l'adjectif indissoluble ne se trouvait pas et ne se trouve toujours pas dans la liturgie catholique, ni
d'ailleurs dans la nouvelle liturgie réformée. Ce qui prouve qu'il faut se méfier des mots. Je pense que M. Laccueil ne
me contredirait pas si j'affirme que chez les protestants comme chez les catholiques le mariage est une vocation à vivre
toute une vie ensemble dans la fidélité réciproque. " Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni ".
- Ah ! Vous me surprenez...
M. Laccueil, de retour de la sacristie, est pris à témoin et confirme.
- La différence, car il y en a une, est dans l'attitude pastorale lorsque le mariage est définitivement rompu. L'Eglise
réformée estime que la grâce de Dieu est toujours la plus forte et qu'aucune faute n'est irréversible : c'est pourquoi,
après examen pastoral attentif elle accepte, c'est vrai, de conférer la bénédiction nuptiale à des conjoints civilement
divorcés Document des Eglises 24 , ce que ne fera pas l'Eglise catholique qui peut seulement - en tout cas aujourd'hui
- reconnaître a posteriori la nullité d'un mariage et alors, après examen, accepter un (nouveau) mariage à l'église.
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