Vendredi 27 mars : Juliette et sa maman Idelette
Quelque semaines plus tard, Juliette discute avec Idelette, sa maman.
- Tu as une sacrée chance, ma fille, tout se passe apparemment comme sur des roulettes. De notre temps c''était différent et même encore plus récemment ! Tiens, la cousine Anne-Lise, il y a quelques années seulement : elle vivait alors en Bretagne. Eh bien, crois-moi, elle a d''abord sué sang et eau pour trouver un pasteur : c''est une espèce plutôt rare là-bas.
Et puis, je ne veux pas bêcher le curé catholique mais, tu sais, on ne peut pas dire qu''il l''a accueillie à bras ouverts. Ses bras, il les aurait peut-être ouverts si elle avait parlé de se convertir, de devenir catholique.
Document des Eglises 12.
Mais comme elle demeurait bonne protestante, il est resté assez froid. Il lui a sorti une série de documents romains : l''un d''eux demandait qu''Anne-Lise s''engage par écrit à élever ses enfants catholiques...
- Mais, maman, le père Ouvert, ici, nous a dit que ça n''existait plus, que l''Eglise catholique ne demandait plus cette promesse...
- Je le sais. Elle demande cependant que le catholique " fasse son possible " pour que ses enfants soient catholiques. J''ai l''impression que cette directive de Rome est interprétée avec une certaine souplesse et laisse enfin de compte les portes assez ouvertes.
Document des Eglises 13.
Notre curé à Privas est au courant de l''évolution de son Eglise romaine et il est à jour par rapport aux positions des évêques de France. Mais là-bas en Bretagne où il n''y a presque que des catholiques enfin, des gens baptisés catholiques ce n''est pas étonnant qu''on soit un peu en retard. Crois-moi Juliette, le curé breton, il a tout simplement sorti pour Anne-Lise des vieux papiers qui datent d''avant le concile du Vatican. Peut-être qu''il pense que, par économie, il faut épuiser les vieux stocks avant d''en commander de nouveaux.
-Maman, tu exagères...
- Non, Juliette. La preuve : à Lyon, pas loin d''ici, ville qui se targue d''être une capitale de I''œcuménisme, on m''a parlé il y a très peu de temps du curé d''une grosse paroisse catholique qui, du point de vue paperasse, n''est pas plus avancé que son confrère de Bretagne. Il distribue lui aussi un document périmé.
- Tu as lu ce papier ?
- Non, mais tu peux demander à M. Laccueil auquel un collègue l''a communiqué. Il était furieux ; il en a envoyé une copie à un religieux catholique qui s''y connaît en lui demandant d''intervenir.
- Et alors ?
- Oh ! Je ne pense pas que le religieux en question ait récupéré le stock de vieux papiers et l''ait brûlé publiquement place Bellecour. Mais je le connais, je suis certaine qu''il est intervenu auprès de son confrère pour le mettre au parfum et éviter le renouvellement de pareille gaffe.
- Mais alors, dans l''Eglise romaine, chaque curé fait un peu comme il veut ? Je croyais que c''était plus rigide. Il n''y a pas un pape ?
- L''Eglise romaine a beaucoup changé depuis trente ans. Avant, nous autres protestants lui reprochions d''être uniforime, monolithique, de manquer de souplesse, du sens de l''accueil de chacun avec ses caractéristiques propres. Et puis, il y a eu ce concile qui, mine de rien, a modifié pas mal de choses (oh ! pas tout, peut-être même pas les choses principales : le pape est toujours là qui prend bien de la place... et les superstitions des pèlerinages continuent, etc). Mais, quand même, du côté du respect des autres il y a eu un changement. Toutefois un changement de mentalité, ça ne se fait pas tout seul. Il faut des années. Et les choses peuvent aller plus vite ici, moins vite là. C''est difficile à vivre mais il faut l''admettre.Ici, à Privas, on a de la chance. Alors, comment ça se prépare ce mariage ? Vous avez déjà vu plusieurs fois M. Laccueil et le père Ouvert ?
- J''ai été frappée : pratiquement le pasteur et le curé nous ont dit, séparément, à peu près les mêmes choses et ensemble ils les ont répétées.
- Tu t''en souviens ?
- Bien sûr. D''autant plus que le père Ouvert nous a dit qu''il faudrait que, avec Roméo, j''écrive une déclaration d''intention.
Document des Eglises 14.
- Une déclaration d''intention, c''est quoi ? Une nouvelle paperasse ?
- Non, non pas du tout. C''est un truc qui n''existe qu''en France, ça ne vient pas de Rome. Le père Ouvert nous a dit qu''il fallait qu''après les conversations avec lui et avec M. Laccueil on écrive les idées principales que Roméo et moi nous retenions.
- Des idées sur quoi ?
- Eh bien ! Sur le respect mutuel entre nous deux, sur la volonté de faire connaître Jésus à nos enfants, sur notre participation à la vie de la paroisse, ou plutôt des paroisses...
- Mais vous ne pouvez pas écrire votre vie à l''avance ! Vous ne savez même pas si vous resterez longtemps à Privas. Peut-être dans quelques années vous serez ailleurs en Europe : tout bouge aujourd''hui.
- Oui, oui. Roméo rêve d''aller en Afrique noire... Enfin, on n''en sait rien. Mais dans la déclaration que le père Ouvert nous a demandé de rédiger, il faut mettre seulement nos intentions : c''est pour cette raison que cela s''appelle " déclaration d''intention ".
- Et tu vas faire ça ? - Oui, ils nous ont dit qu''il y avait des " modèles " Document des Eglises 15 mais qu''il valait mieux écrire librement nous-mêmes : on peut rédiger deux déclarations séparées ou bien une déclaration commune. Le curé pense que c''est mieux de n''en faire qu''une - après tout on s''unit Roméo et moi, non ? - mais que, pour la rédaction, il est astucieux de commencer chacun de son côté et, dans un deuxième temps, de fusionner nos deux papiers.
- Tu ne penses pas que le point délicat sera ce que vous écrirez au sujet de l''éducation de vos enfants ? ,
- On en a déjà parlé plusieurs fois avec Roméo. On a nos petites idées : il faudra que nos enfants connaissent le protestantisme et le catholicisme. D''une manière ou d''une autre.
- Eh bien ! Bon courage, ma fille ! Ce n''est peut-être pas si bête que de vous obliger à réfléchir la plume à la main !
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